Elections régionales : liste Emergence, avec Almamy Kanouté
En ce moment, à Paris, en Île de France et dans tout le pays, c’est les élections régionales. Impossible de le louper, comme à chaque échéance électorale, on placarde les établissements publics avec les affiches incitant au vote. Généralement, je ne remarque pas plus que ça les affiches, blasé à vrai dire de tant de matraquage « publicitaire » quotidien. Mais pour une fois, il y a eu une affiche qui a fonctionné. Et ce n’est pas à cause de son coté visuel ou d’une phrase choc que j’ai été interpellé. Juste une photo, avec une personne au centre d’un groupe de jeunes gens. Une personne d’origine africaine, avec une barbe comme celle que certains musulmans portent. On sort des sentiers battus, et j’ai voulu en savoir plus, sur Almamy Kanouté et son mouvement politique.
Premier constat : il n’est pas facile de les trouver sur Internet. Il faut beaucoup chercher pour tomber sur leur site officiel, puis leur programme. Remarquez toutefois que le Parti Socialiste, même si on trouve très simplement leur site, ne rend pas la tâche plus facile non plus pour trouver leur programme. Sans doute parce que le PS envoie chez les électeurs tout ce qu’il faut pour se faire une opinion, donc ils peuvent se permettre d’ignorer un peu une faute d’ergonomie web assez lourde (ça me touche un peu, étant designer graphique…). Je parviens tout de même a trouver de quoi me faire une opinion, en écoutant deux retransmissions d’émissions de radio (generations fm 88.2, radio numéro très populaire dans les « quartiers »), en regardant des émissions de télé, notamment chez France Ô, en lisant leur site internet ou en regardant leurs vidéos postées sur Youtube. Leur Twitter, même si il existe, n’est malheureusement pas alimenté.
Deuxième constat : malgré leur bonne volonté, ils sont amateurs. Très peu de moyens, on est très loin des machines de guerre du PS ou de l’UMP. C’est peut-être ce qui fera leur force, mais c’est sans doute une très grande faiblesse. Ils n’ont par exemple, même pas l’argent pour envoyer les bulletins de vote à domicile, c’est à dire 70 000 euros. Leur budget pour cette campagne n’est que de 14000 euros. Et ça se voit, oui. Ceci ne serait pas un problème si quelques règles de communication de base avaient été respectées, on peut faire beaucoup avec très peu de moyens. On peut le dire, il leur manque quelques bons conseillers talentueux, ils font tout eux mêmes, avec des résultats plus ou moins heureux. Ce n’est pas forcément facile de faire un bon site web bien référencé si on est pas professionnel du web, ce n’est pas forcément facile de s’exprimer avec les mots qui vont bien si on a pas un conseiller en image, et ainsi de suite. Sur l’affiche, l’image renvoyée est celle de jeunes des quartiers, de banlieusards, venus mener un combat politique.
Diversité et représentativité
Et c’est tout à fait ça, des jeunes issus des quartiers majoritairement. Ils ne s’en cachent pas, pour une fois, une liste électorale n’a pas un noir ou un maghrébin pour faire du « coloriage » de liste, de la cosmétique, comme ils l’ont si bien dit. Pour une fois, des citoyens des cités, mais aussi des quartiers résidentiels classiques, des parisiens et donc pas forcément des « exclus », se présentent à des élections. Régionales, certes, mais élections tout de même. Nous avons ici, pour faire simple, un groupe de personnes, issus du tissu associatif de la région, qui ont décidé d’aller plus loin que leur simple asso, d’aller plus loin parce qu’à un moment, ils se sont retrouvés limités dans leur action par la politique. Plutôt que d’attendre qu’un beau jour un élu se penche sur leurs problèmes, ils ont décidé de se prendre en main. Ne se reconnaissant dans aucun parti, qui de toute façon, selon eux, aurait tôt fait de taire leurs revendications, ils ont décidé de fonder le mouvement « émergence » .
Almamy Kanouté, un jeune éducateur spécialisé de 30 ans et conseiller municipal à Fresnes, est la tête de liste de ce mouvement si différent, de par les personnes qui le composent, qui comme lui, ont en moyenne 30 ans. Habitué de l’associativisme local, il connait les problèmes des personnes de son milieu. Il ne va pas « sur le terrain » ou regarder les « statistiques » : il est le terrain, il est la statistique. Mais bien sûr, comme toujours avec les personnes du « terrain », il y a le risque de ne voir un problème plus que par un seul prisme, sans forcément voir dans son ensemble la région. Il faut répondre aux attentes des franciliens de banlieue, mais aussi à ceux qui habitent Neuilly ou Brie Comte Robert, qui, on l’imagine bien, ont des problématiques totalement différentes. Peuvent-ils le faire? Personnellement, j’ai quelques réserves à ce sujet. En regardant leur programme électoral, je constate qu’ils ont un langage tout ce qu’il y a de plus traditionnel, surtout pour les partis de gauche. Il faut aider les sans papiers, aider les sans abris, donner le droit de vote aux étrangers, aider les lycéens à se former, faire un passe navigo au tarif unique dans toute l’Île de France… J’ai particulièrement aimé une de leurs propositions, « contrôler les policiers qui contrôlent » : à chaque fois qu’un policier contrôle quelqu’un, il doit établir un procès-verbal où il rapporte son contrôle. Ce type d’idée montre leur attachement à apporter des solutions concrètes.
Ce sont des propositions somme toute classiques. Ce qui les différencie, c’est les gens qui portent ces propositions. Quand Almamy Kanouté rentre chez lui le soir, il va devoir rendre des comptes non pas à ses électeurs, mais à la voisine, au pote, à la famille. Et c’est sans doute là toute la différence. Ce ne sont pas des pros de la politique, ça se voit. Ils n’ont peut-être pas les compétences de gestionnaire requises pour gérer un conseil régional, mais en même temps, je doute fortement qu’ils soient menés à gagner les élections. Par contre, ils pourront peut-être faire un joli score, on se souviendra des élections municipales de 2008, où plusieurs anciennes listes qui sont maintenant intégrées à « émergence » avaient fait des résultats plus qu’honorables (11,11% à Fresnes, 26,6% à Grigny, 9,4% à Massy…). C’est le propre des élections secondaires : les électeurs profitent de la moindre importance de ces élections pour voter pour de plus petits partis, qui leur correspond peut-être mieux que les grands partis classiques.
Electorat de la liste « émergence »
Ils s’adressent surtout, on l’aura compris, à des gens qui aujourd’hui ne s’intéressent pas à la politique. Des gens qui n’ont aucune envie d’aller voter pour un parti dans lequel ils ne se reconnaissent pas, ou qui ne répond pas de toutes façons à leurs problèmes concrets. Certaines villes de la périphérie urbaine de Paris, avec 70 000 habitants, n’ont que 7000 votants. Emergence s’adresse aux 63000 restants, en les représentant, du mieux qu’il peuvent. Ils veulent faire voter les jeunes avec une offre politique différente. Mais parfois, le mieux qu’ils peuvent n’est pas suffisant. Ils ont toutefois la chance d’avoir François Durpaire pour ami, un historien connu, fondateur du mouvement pluricitoyen : en 2010, il est l’initiateur et le coordinateur éditorial de l’Appel pour une République multiculturelle et postraciale, coécrit avec Lilian Thuram, Marc Cheb Sun, Rokhaya Diallo et Pascal Blanchard. Je dirais que c’est dommage qu’il ne se présente pas directement sur les listes d’émergence… Le but d’émergence, selon leurs propres termes, est de combler le fossé entre les institutions politiques et les personnes, de créer un nouveau rapport de forces, qui représente réellement tout le monde, y compris les éternels oubliés, qui ne voient un élu local que très périodiquement, curieusement juste avant les élections.
Un journaliste leur avait demandé ce qu’il en était de leurs idées pour des questions moins « terre à terre », plus globales : quelles sont les grandes lignes de votre projet? La réponse est simple : ils ne proposent que des mesures qui sont de la compétence des régions. Il ne faut pas confondre région et nation, effectivement. Leur programme n’est pas figé, comme Ségolène Royal, ils font participer les gens, avec une démocratie participative. Sans doute misent-ils sur leur proximité de fait avec les électeurs, contrairement aux têtes de liste des grands partis, qui sont un peu dans une bulle, déconnectés de la réalité. Qui croit vraiment que Valérie Pécresse ou Huchon parlent tout les jours aux gens dit « normaux » ou aux classes populaires? Je n’ai personnellement jamais été abordé par quelqu’un de l’UMP pour me sonder sur mes soucis, mes revendications… par eux non plus remarquez :D
Bonnes intentions, mais…
Voici pour le coté positif de leur démarche, qui me semble sincère, issue des associations. Le coté négatif, c’est sans doute, comme évoqué au début de mon article, c’est leur amateurisme. Comment leur faire confiance pour gérer une région? On nous dit qu’il n’y a pas besoin d’être issu de l’ENA et d’avoir de grands diplômes, pour faire de la politique. Certes non, il y a beaucoup de politiques qui n’ont pas de formation prestigieuse. Mais ils ont tous une équipe solide, compétente, qui peut, à défaut d’apporter des solutions, au moins comprendre les problèmes qui leur sont posés. Cette faiblesse n’en est pas une, tant qu’ils n’ont aucune chance de remporter les élections : aujourd’hui, le dernier sondage leur donne 0,5% des voix. Ils représentent ceux qui se retrouvent toujours en fin de liste, mais est-ce qu’ils ne font pas double emploi avec Alain Dolium ou Ali Soumaré? Lorsque l’on entend Almamy Kanouté, on comprend bien qu’il n’a pas la « prestance » du représentant du MoDem ou celui du PS. Il n’a pas le talent des mots, parle trop en « heeuuu… » ou en « biiiinnn… », et au final, si on écoute attentivement les idées qu’il présente, j’ai l’impression d’entendre le même discours qu’un politique classique, tout en langue de bois, sans vraiment répondre aux questions. On va mettre ça sur le compte de la maladresse, de la jeunesse et du manque d’expérience.
Il ne s’agit pas que de répondre en donnant des exemples super concrets : les exemples concrets vont parler à une certaine population concernée, mais pas à la globalité des électeurs en Île de France. Il s’agit de pouvoir s’exprimer clairement sur tout les sujets. Almamy Kanouté, on le sent, est quelqu’un de motivé, d’intelligent, mais qui n’est pas à l’aise dans son rôle de leader : il utilise des mots qui l’empêchent de véritablement s’exprimer, on sent un peu la leçon récitée apprise avant l’interview. Parfois, le naturel arrive à s’échapper, lorsqu’il donne un exemple « tout con » au journaliste selon ses propres termes. Ce n’est pas simple, d’affronter les médias! Un débat contre un vieux monstre de la politique, je ne pense pas qu’il fasse long feu, et c’est bien le problème : comment ça sera une fois l’élection gagnée? Est-ce qu’il est vraiment la meilleure personne pour faire entendre la voix des jeunes des quartiers? A mon avis, non, mais c’est le seul qui a assumé le rôle, honneur à lui. Une pensée tout de même pour Blandine Cracco et Dawari Horsfall, qui l’épaulent très bien dans cette lourde tâche.
Je vous laisse regarder les quelques vidéos trouvées ici et là et écouter les émissions de radio, pour vous faire une idée de par vous même de ce mouvement politique, qui provient d’une démarche louable citoyenne, des gens qui ont décidé de se prendre en main plutôt que d’attendre que ça vienne. Vous pouvez également consulter leur site, emergenceidf2010.com, où vous trouverez leur programme, rempli de bonnes intentions et de promesses, comme partout ailleurs. Ce sont les personnes qui feront la différence.
- Interview de Almamy Kanouté sur Générations FM
- Interview de Almamy Kanouté, Blandine Cracco, Dawari Horsfall et François Durpaire sur RFO.
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