Sainte Chapelle de Paris : Gothique Rayonnant, apogée de l’Art médiéval
Peu d’endroits à Paris sont empreints d’un tel mystère aux yeux des habitants de la capitale comme la Sainte Chapelle. Ce lieu de culte, symbole du gothique triomphant, étudié dans tous les bouquins d’Histoire médiévale, n’est pas le monument parisien le plus en vue, et pour cause : il se trouve dans une cour du Palais de Justice, loin des regards distraits des passants, à moins de lever la tête et de regarder par-dessus les toitures des célèbres tribunaux parisiens.
Photos de la Sainte Chapelle
La Sainte-Chapelle n’est plus à proprement parler un lieu religieux, c’est devenu un « simple » musée, que l’on visite moyennant finance. Quand on voit Notre Dame de Paris, notre belle Cathédrale de Paris, que l’on visite gratuitement, visible des quais de Seine, et que l’on compare à la discrétion de la Sainte-Chapelle, le contraste est saisissant. Mais la Sainte-Chapelle n’avait jamais eu la vocation d’être un lieu ouvert au public, bien au contraire. Lorsque Louis IX, plus connu sous le nom de Saint-Louis l’a fit construire, c’était avant tout pour accueillir les saintes reliques acquises à grand frais à Baudouin de Constantinople.
L’Empire Byzantin n’était alors plus que l’ombre de ce qu’il avait été. Pillé et pris par les croisés, qui mirent à sa tête des empereurs « latins », l’empire connu une des plus graves crises de son histoire, qui l’affaiblirent définitivement, le mettant, deux siècles plus tard, à la merci des troupes ottomanes. Lorsque Saint Louis, désireux d’augmenter le prestige de sa capitale et par conséquent du Royaume de France avec la présence de reliques inestimables, Baudouin II de Courtenay n’était pas en mesure de refuser l’offre qui lui était faite. En effet, Baudouin, devant faire face à d’énormes problèmes de trésorerie, fut forcé de mettre en gage la Sainte Couronne auprès des Vénitiens.
Les reliques de la Sainte Chapelle
C’est ainsi que Saint Louis obtint la Sainte Couronne, la couronne d’épines de Jésus Christ, ainsi qu’un morceau de la Sainte Croix, la croix où Jésus fut crucifié. La Sainte Chapelle n’était rien d’autre que le lieu où seraient conservées ces reliques inestimables aux yeux de la Chrétienté. Autant dire qu’à l’époque, ils préféraient mille fois perdre la Sainte Chapelle que la couronne d’épines ! On les comprend, imaginez un peu si c’était la véritable Sainte Couronne de Jésus, avec son sang séché… quelle émotion intense cela devait être pour les fervents chrétiens du Moyen-âge. Imaginez également l’émotion que la perte de ces objets d’une préciosité inouïe avait du provoquer chez les byzantins…
La couronne d’épines fut acquise pour la somme faramineuse de 135000 livres tournois en 1238, que l’on peut comparer au coût de construction de la Sainte Chapelle : 40000 livres. Cette année, Saint Louis n’était pas encore le roi de « plein droit » qu’il sera, à partir de 1241. C’est dire si le monarque pris très tôt à cœur l’importance de la religion ! S’ajoutent à cette relique grandiose deux ans plus tard un fragment de la croix, la lance avec laquelle le soldat romain Longinus transperça le flanc du Christ pour confirmer sa mort, l’éponge de la Passion, des reliques de la Vierge Marie et le Mandylion, une image du visage de Jésus comme « imprimée » sur du tissu. Les précieuses reliques seront conservées au Palais, dans la chapelle Saint Nicolas, bientôt détruite pour laisser la place à la nouvelle Sainte Chapelle.
Saint Louis n’est donc au pouvoir que depuis très peu de temps lorsqu’il ordonne la construction de la Sainte Chapelle, qui débute en 1242. C’est un acte politique majeur, qui veut faire de la France un centre religieux de premier ordre, établissant par la même son pouvoir dans toute l’Europe. 6 années seulement furent nécessaires pour construire la Sainte Chapelle, jusqu’à sa consécration le 26 avril 1248. Cette construction fut un tour de force majeur architectural et technique. Le lieu est tellement associé à celle du roi de France, qu’après la canonisation de Louis IX en 1297, ses restes mortels furent transférés à la Sainte Chapelle en 1306.
Architecture de la Sainte Chapelle
Le mot « chapelle » vient tout simplement de la ville d’Aix-la-Chapelle. En effet, c’est ici que fut construite la première chapelle de l’histoire, destinée à abritée une relique, un morceau de la cape de Saint Martin de Tours. Le mot « chapelle » dérive ainsi du latin « capella », un édifice religieux ne constituant pas une paroisse. Cet édifice possède une fonction précise, comme par exemple un lieu de culte intégré à un château, un hôpital, ou considéré comme étant une « annexe » de l’église principale. La Sainte Chapelle était ainsi le lieu de culte du Palais de la Cité, la résidence du roi, où se trouve également la Conciergerie.
Pierre de Montreuil, qui semble en avoir été l’architecte, utilisa des techniques innovantes et très en avance sur son temps pour réaliser une chapelle si élancée, qu’aucun arc boutant ne vient renforcer. Pierre de Montreuil avait déjà travaillé auparavant sur la Basilique Saint Denis, acquérant ainsi une solide expérience qu’il mettra à profit pour la Sainte Chapelle. D’autres théories voudraient que ce soit plutôt l’un des architectes de Notre Dame qui édifia la Sainte Chapelle, Jean de Chelles. Quoiqu’il en soit, les deux se connaissaient sûrement, vu que Pierre de Montreuil remplaça Jean de Chelles à sa mort en tant qu’architecte principal de la cathédrale.
La Sainte Chapelle est donc un édifice construit avec une voûte en croisée d’ogives, sur une longueur de 33m pour une largeur de 10m. Il s’agit en fait de deux chapelles, la chapelle haute et la chapelle basse. Le style architectural est évidemment du pur gothique, mais ce qui lui donne son appellation de « rayonnant » vient de ses énormes vitraux, laissant entrer largement les rayons de lumière. Nulle église n’avait été aussi lumineuse avant la Sainte Chapelle !
Seul l’emploi d’une nouvelle technique, la pierre armée, a permis l’édification d’un si bel édifice : les « murs », ou contreforts que l’on voit entre chaque vitrail sont de fait cerclés de fer. Toute la Sainte Chapelle est ainsi entourée d’un chainage de fer, donnant de la résistance à la structure, une technique qu’on ne réutilisera pas avant de nombreux siècles.
Au sommet de la toiture, on retrouve une statue de l’archange Michel. Auparavant, près de l’abside, on pouvait retrouver un bâtiment servant de sacristie. Il faut détruit en 1777, lorsque l’on reconstruit la grande cour du Palais.
La Chapelle Basse
Quand on visite le monument, on entre par la Chapelle Basse, dédiée à la Vierge Marie. Cette chapelle était réservée aux gens de la cour, contrairement à la Chapelle Haute, réservée au roi et à sa famille. Ici, point de luminosité rayonnante, les vitraux sont petits, les murs massifs. La seule utilité architecturale de cette Chapelle Basse était de servir de socle à la Chapelle Haute, de soutènement. La hauteur de cette salle fut par exemple calculée de sorte à ce que la Chapelle Haute se retrouve à hauteur du premier étage du Palais de la Cité.
Il ne faut pas se méprendre, même si la Chapelle Basse a été reléguée à un rôle secondaire, elle n’en est pas moins dénuée d’intérêt, au contraire. Les voûtes en croisée d’ogives étant assez basses, on se régale à admirer d’aussi prêt un si beau travail d’architecture. C’est ici que l’on peut apprécier la statue de Saint Louis, ou la plus ancienne peinture murale de Paris, l’Annonciation. Les vitraux eux, ne sont malheureusement plus d’époque, ayant été détruits par une grande crue de la Seine en 1690. Pour ma part, je regrette beaucoup la présence vénale de la « boutique de la Sainte Chapelle » en ce lieu saint, historique, mythique. Pourquoi ne pas l’installer dehors, dans la cour, plutôt que de cacher les trésors artistiques derrière une caisse enregistreuse ? Mais le pire n’est pas là : l’état de dégradation avancée que l’on peut voir est impropre d’une ville comme Paris, impropre d’un monument classé patrimoine historique par l’UNESCO. Les peintures s’écaillent, tombent à terre ! Il n’y a pas de budget pour finir de restaurer la Sainte Chapelle ? Le nombre d’outrages que notre patrimoine historique subit à Paris est malheureusement trop élevé, les parisiens ne s’en émeuvent plus. Blasés, comme toujours.
La Chapelle Haute
Auparavant, on ne pouvait pas accéder à la Chapelle Haute en passant par la Chapelle Basse comme j’ai pu le faire lors de ma visite. On n’y accédait que par le Palais de la Cité : la Chapelle Haute était alors reliée directement à la « Aula », la grande salle du conseil. La première impression que l’on peut avoir en découvrant pour la première fois l’intérieur de la Sainte Chapelle, c’est une impression d’espace. Aucun pilier interne ne vient gêner la lumière de la Chapelle Haute, seuls ressortent les vitraux, racontant l’Ancien Testament ou la Passion du Christ, en 1113 scènes disposées sur 15 verrières. Les espaces intérieurs sont ainsi dégagés : lorsque l’on est dans la Chapelle Haute, rien ne vient s’interposer entre notre vue et les vitraux.
Cette Chapelle Haute est le contraire de la Chapelle Basse, quand dans la première on a une impression de légèreté, dans la seconde on a une impression d’être écrasés. Les voûtes en ogives sont à 21m du sol de la Chapelle Haute ! Chaque verrière latérale fait 15m de hauteur pour presque 5 de large, avec un travail artistique d’une finesse sans égal. Toute la Sainte Chapelle a été conçue comme une châsse, pour y conserver les objets les plus précieux de tous : les reliques de la Passion du Christ.
C’est dans l’abside que l’on retrouve l’autel qui supporte le baldaquin où se trouvait le reliquaire, aujourd’hui vide. L’abside est composée de 7 vitraux, renforçant toujours cette impression de lumière et de légèreté qui se dégage de la Sainte Chapelle si on a la chance de la voir par une belle journée ensoleillée. De l’autre coté de la Sainte Chapelle, sur la façade, une énorme rosace, qui dominait autrefois les orgues, malheureusement absents de notre monument. Cette rose de 9m de diamètre fut restaurée sous Charles VIII.
Les vitraux sont l’un des éléments clés de la chapelle. Au Moyen-âge, rares étaient les personnes qui savaient lire. Les vitraux, en illustrant la Bible, permettait à tout un chacun d’avoir le récit illustré de l’histoire de la Chrétienté. Aujourd’hui, deux tiers des vitraux sont d’époque et authentiques. On retrouve certains morceaux manquants au Musée de Cluny, au Musée de Rouen ou en Angleterre ! Au bout de chaque pilier, on peut observer la statue d’un apôtre, mais on ne sait plus très bien les identifier précisément.
Les dégradations de la Sainte Chapelle
Comme toujours, les plus grands des dégâts sont toujours issus de la main de l’homme. C’est à la Révolution que la Sainte Chapelle subit les pires outrages, en tant que symbole de la royauté. Les sculptures sont toutes détruites à l’exception des apôtres, sauvées par Alexandre Lenoir. L’ensemble du mobilier disparaît. On retire les orgues, déplacés à Saint Germain l’Auxerrois, et on détruit les insignes royaux. La flèche de la Sainte Chapelle est abattue, elle avait déjà subit des dégâts très importants lors d’un incendie en 1630…
Les reliquaires vont être fondus, et les reliques sont dispersées. La Sainte Chapelle est ainsi vidée de sa substance, de sa raison d’être. La couronne d’épines sera néanmoins sauvée, et est désormais conservée au sein du trésor de Notre Dame de Paris. Les morceaux de verrière que l’on a retrouvés en Angleterre viennent des dégradations de la Révolution : ils furent vendus aux anglais à cette époque. Imaginez : la Sainte Chapelle avait été transformée en club, puis en dépôt d’archives ! La décoration extérieure sera également détruite par les révolutionnaires, aveuglés par leur haine de la royauté et de ses symboles.
Elle sera fort heureusement restaurée au XIXe siècle par Félix Duban entre 1836 et 1848, Jean Baptiste Lassus de 1848 à 1857 et Emile Boeswillwald, sur les conseils de Viollet-le-Duc jusqu’en 1868. Elle récupérera une flèche en 1853, que l’on espère la plus approchante de l’originale, après un fort débat pour savoir quelle flèche serait la plus fidèle : elle culmine à 75m. La Sainte Chapelle ne sera plus menacée à partir de 1862, date de son inscription aux Monuments Historiques. C’est un monument classé. La question que je me pose est simple : pourquoi n’avoir jamais fini le travail de restauration initié par ces hommes ? On sait qu’avec la guerre perdue contre la Prusse, puis avec la commune de Paris, les travaux furent malheureusement interrompus, mais tant d’années plus tard, sommes nous encore obligés de voir des morceaux de la Sainte Chapelle gisant dehors, placés contre ses murs ? Un édifice construit en 5 ans à l’époque de Saint Louis n’est pas restauré en plus de deux siècles écoulés depuis la Révolution Française ?
Il n’est même pas utile de parler de l’avidité des souverains français, obligés de vendre les richesses patrimoniales lorsqu’ils sont à court d’argent, comme Baudouin en son temps. Le roi Philippe VI vendra par exemple une des épines de la Sainte Couronne à Rodolphe II de Saxe ! Mais tout n’est pas noir, il faut l’avouer. Un splendide travail de récupération des vitraux a été effectué en 2010, leur redonnant leur éclat original. Avec encore un peu de bonne volonté et de la patience, on restaurera, si jamais on sait comment faire, le reste de la Sainte Chapelle !
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